CoMeGAS
Collectif des Médecins Généralistes pour l’Accès aux Soins
Le 1er août 2008
Monsieur Louis SCHWEITZER
Président de la HALDE
11 rue Saint Georges
75009 PARIS
Monsieur le Président,
Par un courrier du 27 juin 2006, j’avais eu l’honneur de saisir la HALDE au nom du Collectif des Médecins Généralistes pour l’Accès aux Soins (CoMeGAS) sur le caractère discriminatoire des refus de soins aux malades bénéficiaires de la CMU, mis en évidence par le rapport du fonds CMU publié le 21 juin 2006. Par la suite, le CISS et le Docteur Georges Yoram Federmann avaient effectué auprès de vous cette même démarche.
Par votre délibération 2006-232 du 6 novembre 2006, la HALDE avait confirmé et précisé le caractère discriminatoire de ces pratiques. Pour prévenir la réitération de tels faits, vous aviez recommandé aux organismes de sécurité sociale, entre autres, de prendre les mesures nécessaires d’information des usagers et des professionnels de santé, de prévention et de sanction de ces pratiques. Je ne reviendrai pas sur les suites médiatiques et politiques qu’avaient entraîné cette saisie et la délibération de la HALDE. Rapports, prises de positions variées et polémiques, commissions et déclarations d’intention, etc., avaient suivi.
Pendant cette affaire, certains professionnels de santé, parfois responsables syndicaux ou ordinaux, avaient souligné ce qu’ils présentaient être des comportements anormaux, indisciplinés et abusifs des bénéficiaires de la CMU pour expliquer, voire justifier, les comportements illégaux, anti-déontologiques et discriminatoires de certains de leurs confrères ; comportements qui participent à l’aggravation des inégalités sociales de santé dans notre pays. Ces médecins mettaient en avant que les bénéficiaires de la CMU ne respecteraient pas les rendez-vous fixés, auraient des exigences particulières, des comportements inadaptés, etc. Certains, généralisant à partir de situations exceptionnelles et rarissimes, allaient jusqu’à mettre en doute la réalité de la situation matérielle des patients bénéficiaires de la CMU. Ces attitudes, selon eux, désorganiseraient le bon fonctionnement de leurs structures de soins, ou ne garantiraient pas les conditions de respect qu’ils estiment nécessaires à une bonne relation de soins.
Malheureusement jamais aucune preuve ni étude n’ont été apportées permettant d’asseoir ces allégations. Rien en particulier ne permet d’affirmer que ces comportements seraient plus fréquents chez les bénéficiaires de la CMU que dans le reste de la population. De plus, pour les populations les plus désocialisées, donc faisant partie des bénéficiaires de la CMU, des contraintes de rendez-vous trop strictes ou des formalités d’accès aux soins trop complexes peuvent constituer des obstacles à l’accès aux soins . En l’absence de tout élément de preuve démontrant la plus grande fréquence de comportements dits abusifs chez les bénéficiaires de la CMU, ces allégations restent infondées, et ne semblent reposer que sur des a priori et des généralisations abusives. Leur caractère discriminatoire semble avéré.
Professionnels de santé présents sur le terrain au coté des patients les plus vulnérables, les médecins du CoMeGAS savent bien que ces propos ne sont souvent tenus que pour tenter de justifier de façon hypocrite des refus de soins liés au niveau socio-économique et culturel des patients. Les membres du CoMeGAS savent même que certains professionnels, heureusement peu répandus, conscients des obstacles à l’accès aux soins que constituent pour les plus défavorisés les contraintes administratives, mettent en place des procédures complexes et discriminatoires susceptibles de décourager ces populations :
- plages horaires spécifiques de prises de rendez-vous téléphonique,
- plages de consultations « réservées » aux patients ayant la CMU,
- obligation de prise de rendez-vous par un tiers ou avec la lettre d’introduction d’un autre médecin,
- obligation de présenter la carte vitale pour bénéficier du tiers payant,
- etc.
Or l’Assurance-Maladie, dans sa « Lettre aux médecins » n° 29 de juin 2008 , ainsi que dans la circulaire 33/2008 signée de son Directeur Général, ayant pour objet « prise en charge des réclamations et plaintes formulées par les bénéficiaires de la CMU complémentaire ou par les professionnels de santé », officialise et prend à son compte ces allégations de certains médecins, en leur donnant la possibilité de porter réclamations et plaintes auprès du conciliateur de l’Assurance Maladie contre leurs patients bénéficiaires de la CMU complémentaire. Les comportements « abusifs » susceptibles de recours sont même énumérés :
- retards injustifiés aux rendez-vous
- rendez-vous manqués et non annulés
- traitements non suivis ou interrompus
- exigences exorbitantes…
Le CoMeGAS attire votre attention et celle de la HALDE sur le fait que ces procédures de plaintes et de réclamations ne concernent pas les autres assurés sociaux, non assujettis à la CMU, et qui se rendraient “coupables” de ces comportements. Ils pourraient donc les mener impunément. Le CoMeGAS estime discriminatoire cette possibilité donnée aux médecins de porter plainte spécifiquement contre les patients bénéficiaires de la CMU complémentaire, pour les griefs mentionnés dans ces documents ou tout autre motif.
Le CoMeGAS attire votre attention et celle de la HALDE sur l’atteinte aux libertés individuelles que constitue le troisième grief présenté comme abusif et intitulé : « traitements non suivis ou interrompus ». Les bénéficiaires de la CMU n’auraient ainsi plus le droit, contrairement aux autres citoyens, de décider de ne pas suivre un traitement ou de l’interrompre pour des raisons qui leur sont propres, sans prendre le risque d’être signalés à l’Assurance Maladie. Cette mesure s’oppose à l’esprit et à la lettre de la loi 2002-203 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins, et en particulier à l’article L.1111-4 du Code de la santé publique, créé par cette loi, qui concerne le respect de la liberté de choix des patients par les médecins.
Le CoMeGAS attire votre attention et celle de la HALDE sur le caractère arbitraire du quatrième grief intitulé « exigences exorbitantes… ». Sur quels critères en effet le professionnel de santé déciderait-il du caractère exorbitant de telle exigence ? L’exorbitance d’une exigence ne risque-t-elle pas d’être parfois inversement proportionnelle à la capacité du patient à la payer, favorisant ainsi des pratiques de soins à plusieurs vitesses et réduisant les soins aux bénéficiaires de la CMU à un « service minimum » garanti par la loi, au-delà duquel toute demande deviendrait potentiellement « exorbitante » ?
Le CoMeGAS craint que l’instauration de ces pratiques de signalement crée, pour des citoyens souvent en difficulté vis-à-vis des administrations, de nouvelles stigmatisations auprès des services de l’Assurance Maladie. Ces stigmatisations (patients étiquetés « à problèmes », « difficiles », « non-observants », etc.) augmenteront les sentiments de malaise, de honte et d’incompréhension de ces assurés dans leurs relations avec l’Assurance Maladie. Ces sentiments sont souvent générateurs de relations tendues, voire violentes, et ne font qu’aggraver les situations d’exclusion.
Le CoMeGAS estime que l’instauration de ces mesures de signalement revient à mettre sous conditions de « bon comportement » l’accès aux soins pour les personnes bénéficiaires de la CMU, rappelant ce que les dames d’œuvre du 19ème siècle exigeaient de “leurs” pauvres pour exercer leur charité. Des conditions qui ne sont pas exigées des autres assurés sociaux et mettent en évidence le caractère discriminatoire de ces mesures.
Le CoMeGAS attire enfin votre attention et celle de la HALDE sur le caractère absurde de cette mesure, qui consiste à mettre en place des mesures discriminatoires, voire illégales, pour mettre fin aux discriminations que constituent les refus de soins.
Au total, le CoMeGAS estime que ces mesures représentent une violation de l’article L.1110-3 du Code de la santé publique, créé par la loi du 4 mars 2002, qui stipule qu’ « aucune personne ne peut faire l'objet de discriminations dans l'accès à la prévention ou aux soins. » En conséquence, le CoMeGAS demande à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité que soit reconnu le caractère discriminatoire et inégalitaire de cette circulaire 33-2008 et de cette « Lettre aux médecins » de l’Assurance Maladie, pour l’accès aux soins d’une partie de la population parmi la plus exposée aux troubles de santé. Nous demandons que la HALDE intervienne auprès de l’Assurance Maladie pour que ces dispositions soient annulées.
Le CoMeGAS souligne enfin le caractère consternant d’une situation qui amène l’Assurance Maladie solidaire à autoriser des soignants à porter plainte contre ses assurés, pour tenter de régler ce qui ne sont que des difficultés relationnelles, liées entre autres à des a priori envers les plus fragiles de notre société. Cela confirme le constat du CoMeGAS de la formation insuffisante des professionnels de santé, et des médecins en particulier, à la connaissance des réalités de vie des populations les plus fragiles et les plus malades de notre société et à leur prise en charge, alors que, du fait de leur mission soignante, ils devraient en être les “experts”. Le CoMeGAS juge prioritaire que la formation à la prise en charge des populations précarisés soit inscrite dans les programmes universitaires des futurs médecins, et dans les thèmes de formation médicale conventionnelle des médecins financés par l’Assurance Maladie
Regrettant de devoir, à nouveau, saisir la HALDE sur cette question fondamentale de l’accès aux soins des plus démunis, et ne doutant pas de l’attention favorable que vous voudrez bien accorder à notre requête, nous vous prions d’accepter, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.
Pour le CoMeGAS,
Docteur Philippe FOUCRAS